Pour bien comprendre mon histoire, il faut remonter à - avant ma naissance.
D'après le récit de papa, c'était un jour pluvieux. Déméter et lui était sur la grande terrasse en bois qui faisait le tour de notre maison. Sur la table il n'y avait rien d'autre qu'un paquet. La mine de ma mère était grave. Selon mon père, elle paraissait plus âgée, plus dangereuse aussi.
D'une voix dure, elle avait annoncé la fin : elle devrait partir. Zeus rappelait tous les dieux. Avant, elle devait s'assurer que mon père ne m'avouerait pas mon ascendance divine avant mes 12 ans. Ensuite, Déméter lui parla de la Colonie, de ses obligations et des dangers que je pourrais courir à partir trop tôt. Je me souviens du visage de mon père lorsqu'il me racontait cette histoire. Tant d'amours brillaient dans ses yeux.
Depuis ce triste jour, mon père devint tel que je le connais vivant pour moi et son jardin.
Qu'il était beau ce potager ! Grand, fleuri, plein de légumes juteux. Il avait aussi des tas de jardinières chatoyantes et des pommiers.
Une année, il s'était même lancé dans un champ de blé. L'été de mes cinq ans il me semble. Avec Jamie, nous y allions souvent. Là-bas, je goûtais ma petite liberté comme jamais. Les brins me chatouillaient de partout, mais c'était agréable. Et il faisait chaud.
Le seul point noir au tableau, c'était papa. Il buvait et il pleurait tout le temps. Seuls dans notre grande maison, j'entendais ses sanglots jusque dans le jardin où il passait sa vie. Un tel labeur me rendait fière, et j'essayais d'en faire autant. L'avais déjà vu dormir .
Un soir du printemps où j'avais 7 ans, je l'interrogeais. L'alcool embrumait déjà son esprit, mais dès qu'il pouvait il m'accordait de son précieux temps.
Alors, il raconta. À peine avait-il fini de révéler tous ces secrets que la déesse le punit. Il ne devait le dire que bien plus tard. La terre devint infertile, moi-même je le ressentis. Toutes les plantes fanèrent. Toutes, sauf les blés, qui eux se dressaient fièrement, presque avec arrogance.
Sans ça, nous ne pourrons plus vivre dans cette ferme, et c'est avec tristesse que nous la quittâmes. Avec les sous de la maison, nous avons acheté un appartement en plein Manhattan.
Comme pour ne rien changer, je me faisais régulièrement virer de mes écoles primaires. Jamais je ne me fis d'amis. Partout, je paraissais bizarre et infréquentable, et certaines personnes ne m'aimaient pas.La solitude ne me plaisait pas tellement, mais c'était une forme de bouclier, et grâce à mon hyperactivité, j'aimais bien m'amuser à me forger une réputation de brutasse. Amusant oui, même à huit ans.Mais un jour, le vingt-et-un avril,date de mon anniversaire, j'avais dix ans, mon père m'emmena picniqué dans un coin de forêt assez loin. Vers Long Island. Toute excitée, je courrais partout, tout le temps et demandais avec agacement quand est-ce-que nous feront quelque chose d'amusant. Si il y avait bien une chose qui me semblait véritablement attrayant chez mon père, c'était son humour ! Il me traîna alors jusqu'au fin fond. Là, se dressait un majestueux pin. Des larmes coulaient le long des vieilles joues ridés et tannées par la soleil. Pas besoin de réfléchir. Il me tendis un petit paquet blanc. Ses mains tremblaient. Mes yeux pleuraient aussi. Il me donna quelques indications, et je fis un pas derrière l'arbre. À peine était-ce fait que mon père tournis les talons et partis vers notre vieille voiture.